Dragon’s Lair [CD-i]
Nous sommes en 1983, au milieu des graphismes primitifs des Pac-Man, Donkey Kong et autres Space Invaders se tient une borne d’arcade semblant tenir la promesse de nous faire jouer à un véritable dessin animé de haute qualité. Le jeu que contient cette borne se nomme Dragon’s Lair, très original pour l’époque, il s’agit du premier dessin animé interactif, genre qui donnera plus tard les fameux films interactifs et jeux FMV. L’homme à qui l’on doit ce projet ambitieux est Don Bluth, un ancien animateur de chez Disney qui est notamment connu pour avoir fait des films comme Fievel et le Nouveau Monde, Anastasia ou Le Petit Dinosaure et la Vallée des merveilles. Jouer à un dessin animé, cela semble impossible, surtout pour l’époque mais aussi aujourd’hui même avec les progrès considérables en matière de 2D et de cel shading. Voyons ce que propose le jeu.
L’histoire nous met dans les bottes de Dirk, un vaillant chevalier devant sauver la princesse Daphné des griffes d’un dragon terré au fond d’un sinistre château infesté de monstres et de pièges en tous genres.
Le jeu possède une action très soutenue pour tirer à parti le joueur au maximum et la qualité d’animation est vraiment au top, un régal pour les yeux.
Le ton est plutôt comique dans Dragon’s Lair, c’est en grande partie grâce au héros, un peu benêt (se mettant parfois à chantonner insouciamment jusqu’à ce qu’un truc pas cool lui arrive dans la gueule) et un peu poltron (se mettant souvent à hurler de façon stupide ou réagissant de façon excessive face aux dangers). Cette attitude allant à l’encontre du héros classique de chevalerie intrépide et sans failles rend le personnage très humain et attachant. Ce côté parodique se trouve aussi chez la princesse qui est dans l’excès, elle est extrêmement belle (chevelure blonde sans fin), gracieuse (robe scintillant de façon surnaturelle) et surtout extrêmement sexy ! (formes généreuses mises en valeur par sa robe en partie transparente). Pour l’anecdote sachez que les animateurs n’ayant pas assez d’argent pour engager un modèle se sont inspirés de photos venant de Playboy pour animer la princesse Daphné.
Au niveau du bestiaire, on trouve des monstres de lave, des chauves-souris, des araignées géantes, des gobelins, des serpents à ressorts, des tentacules aux gros yeux, des objets tranchants qui lévitent ou encore des cavaliers fantômes fous. Mention pour les fantômes-squelettes et l’incarnation de la mort qui sont vraiment très classes.
Pour les pièges, on retrouve des sols qui s’effondrent, des incendies vivaces, des plafonds qui s’effondrent, des boules géantes à la Indiana Jones, des précipices, des ronces vivantes, des dalles électrifiées, des ponts branlants, des maléfices privant le héros de son épée, des geysers de laves ou encore des potions avec des écriteaux « bois moi » que le héros est suffisamment con pour avaler si on ne fait rien.
On retrouve donc toutes les situations que l’on pourrait être amené à rencontrer dans un château moyenâgeux maléfique dans Dragon’s Lair (dans une alternative plus calme, le château du jeu Shadowgate colle vraiment bien à ce genre d’univers aussi *fais de la pub*).
Dragon’s Lair peut être vu comme le tout premier QTE (hé oui, avant Shenmue qui officialisera vraiment ce type de gameplay). Le jeu est découpé en différentes scènes qui sont elles-mêmes découpées en différentes vidéos. Chaque vidéo se termine par un danger potentiel qui demande au joueur d’effectuer une action, en cas de réussite, le jeu affiche, de façon totalement transparente, la vidéo correspondant à la suite de la scène, en cas d’échec, le jeu affiche une des vidéos de mort du personnage et le joueur doit recommencer depuis le début de la scène s’il lui reste une vie.
Les actions sont très simples comme on peut l’imaginer : il est possible d’aller dans les 4 directions en se servant de la croix directionnelle et d’utiliser le bouton d’action pour donner un coup d’épée.
Un bon point que l’on peut souligner c’est que les vidéos de mort sont très nombreuses et qu’elles peuvent différer selon l’action effectuée. Par exemple, lors de la rencontre contre le cavalier noir, en sautant à gauche, Dirk arrive à éviter le cavalier et la scène suivante s’enclenche, par contre en ne faisant rien, Dirk se fait décapiter hors-champ et en allant à droite, il se fait empaler par les piques se trouvant à côté de lui.
La progression dans le jeu est excellente, pour une raison très simple et qui fait toute la différence : l’aléatoire. Le jeu commence toujours par la scène où Dirk entre dans le château (une spécificité des versions consoles), cependant après celle-ci toutes les autres scènes où Dirk est confronté aux dangers du château sont jouées dans un ordre aléatoire. Une fois que le joueur a réussi à passer toutes les scènes, il accède à la scène finale avec le combat contre le dragon.
L’objectif du jeu est de réussir à maîtriser toutes les scènes, leur apprentissage est facilité avec l’aléatoire qui rend le jeu beaucoup moins frustrant car on n’a jamais l’impression de perdre notre temps en devant se retaper X scènes qu’on connaît déjà par cœur juste pour faire quelques essais sur celle où on bloque.
Une chose qui vient mettre du piment dans le jeu est l’inversion des scènes. Certaines scènes peuvent en effet être aléatoirement inversées, la gauche devenant la droite et la droite devenant la gauche, ce que le joueur doit bien sûr prendre en compte. Une bonne technique pour savoir si une scène est inversée ou non est de regarder l’épée de Dirk : Dirk est droitier et son épée se trouve donc normalement dans son fourreau à la gauche du chevalier, lorsque le fourreau se trouve à sa droite : il s’agit d’une scène inversée. Cela demande de retenir le sens conventionnel, d’analyser les débuts de scènes et d’adapter sa façon de jouer.
En dépit des très faibles possibilités de game design laissées aux développeurs par un dessin animé interactif, il faut avouer que ceux-ci se sont très bien débrouillés, en faisant des choses simples et pourtant qui apportent beaucoup au jeu.
Une chose que j’ai trouvée déplaisante en début de jeu est l’exigence demandée pour l’appui sur les touches. Au début j’ai cru que cela venait du jeu, parfois j’appuyais sur les bons boutons et mon action n’était pas prise en compte, une fois sur cinq ça ratait. Cela vient en fait de la manette 3 boutons de la CD-i qui demande de jouer d’une façon extrêmement précise.
Déjà pour jouer à Dragon’s Lair, il faut marteler les boutons que l’on pense (ou que l’on sait) être les bons. Il ne faut pas marteler les boutons trop vite, sinon ça risque de ne pas être prise en compte, la fréquence d’appui n’est pas très élevée.
Ensuite sur la manette CD-i, il faut positionner son pouce pour appuyer avec l’extrémité sur le milieu du bouton de la croix directionnelle, il ne faut pas appuyer sur l’extrémité du bouton ni appuyer en étalant tout son pouce sur le bouton comme on a l’habitude de le faire. C’est là que je bloquais.
Enfin, lorsqu’une action est terminée, il faut arrêter le plus tôt possible de marteler le bouton de l’action précédente. Le jeu conserve la première touche appuyée pour l’action en cours ce qui, combiné avec le fait que parfois deux actions sont très rapprochées dans le temps et que les transitions entre deux vidéos sont quasi invisibles, fait qu’on se fait parfois avoir.
Je n’ai plus eu aucun problème de manipulation depuis que j’appuie correctement sur les boutons de la manette, cependant il arrive que je me fasse avoir sur les transitions entre deux vidéos lorsque je ne suis pas assez attentif.
La version CD-i possède aussi un petit problème avec un micro-passage du jeu (contre les monstres de lave) qui est coupé mais rien de très grave.
En dehors de ça, il s’agit de la meilleure version du jeu sortie à l’époque (après la version Arcade), il faudra attendre les versions PC et PS3/4 pour jouer à de meilleures versions. Elle permet de jouer au jeu en plein écran et avec une qualité vidéo bien meilleure que les versions Mega-CD et 3DO. Plus de détails ici : http://www.dragonslairfans.com/thegames/dragonslair.htm
Pour aider le joueur à trouver quel bouton il doit appuyer à l’avance, les développeurs ont illuminé en couleurs saturées certaines parties de l’écran à certains moments du jeu. Par exemple, au début du jeu, une porte à la droite de Dirk s’illumine en jaune, le joueur comprend alors qu’il doit appuyer sur le bouton de droite pour que Dirk échappe à l’effondrement de la pièce qui se produit alors.
Ce système est une bonne idée, malheureusement, les traces lumineuses ne sont pas toujours là et la direction où se rendre peut parfois être ambigu, surtout dans des scènes où on a une fraction de seconde pour réagir et où l’objectif est situé dans une diagonale. À noter que ce problème sera résolu dans Dragon’s Lair 2, où le jeu est facilité par l’apparition systématique des marques lumineuses.
Dragon’s Lair fait souvent partie des tops des jeux vidéo les plus difficiles au monde, ce qui est faux bien entendu, cela vient de deux choses : son succès bien sûr mais aussi surtout que les gens n’ont pas compris à quel style de jeu ils avaient à faire.
Bien qu’il soit possible de faire certaines scènes entières du premier coup cela reste extrêmement rare, Dragon’s Lair est le jeu qu’on recommence encore et encore jusqu’à le connaître par coeur : il s’agit d’un die & retry. Mais attention ce n’est pas un die & retry comme on appelle avec abus tous les jeux où on meurt à répétition, il s’agit plus d’un die & retry comme l’a défini le genre avec I Wanna Be the Guy, c’est-à-dire un jeu où l’on va faire une multitude de passages très courts d’une difficulté extrême, ici c’est le cas avec l’apparition aléatoire des scènes qui rend les parties très courtes.
Le plaisir des die & retry (et des jeux difficiles où on meurt beaucoup) vient de deux choses :
– L’analyse des situations, parce que la progression dans un bon die & retry n’est jamais une suite empirique d’actions aléatoires, on se creuse beaucoup la tête dans ce genre de jeu et on est vraiment content quand on a trouvé la solution d’un passage difficile
– La mémorisation et l’exécution, comme un musicien ou un speedrunner, on est vraiment content quand on arrive à faire Dragon’s Lair du début à la fin sans perdre de vie.
La qualité d’animation de Dragon’s Lair est vraiment excellente, l’action est frénétique, les situations sont très inventives et parfois comiques. Le fait que le jeu soit une succession de scènes très courte jouant dans un ordre aléatoire en fait un très bon die & retry. Même s’il y a de bonnes idées de level design pour 83, il faut reconnaître que celui-ci n’est pas parfait et il est parfois difficile de savoir ce qu’il faut faire quand l’objectif est dans une diagonale par exemple.
Dragon’s Lair est vraiment un très bon jeu mais pas à réserver à tout le monde. La version CD-i est l’une des meilleures versions grâce à sa grande qualité vidéo et son usage du plein écran.
Développeur : Cinematronics
Date de sortie : 1994 (1983 en Arcade)